“Il est impossible de résoudre quoi que ce soit si l’on n’embarque pas toutes les parties prenantes”
Arnaud&Arnaud ont interrogé Dominique Sciamma - Directeur de CY Ecole de Design - sur sa
vision des enjeux du 21ème siècle. Il nous explique pourquoi l’innovation, le design et
l’intelligence collective sont indispensables pour relever les grands défis de société.
Arnaud&Arnaud. Quels enseignements tirez-vous de la “permacrise” à laquelle nous sommes
actuellement confrontés?
Dominique Sciamma. Nous devons changer drastiquement nos modes de fonctionnement face aux multiples crises que nous traversons : réchauffement climatique, chute de la biodiversité, crise démocratique, crise économique, injustices sociales, place des femmes et des jeunes, arrivée de l’IA, etc.
Ils sont le résultat de nos échecs : nous ne nous sommes pas organisés correctement et n’avons pas privilégié les bons savoirs, que ce soit à l’échelle sociale, politique ou économique.
D’ailleurs, nombreuses sont encore les écoles qui forment les dirigeants de demain avec des
méthodes obsolètes, qui privilégient la verticalité, les silos, la séparation des disciplines.
Il faut néanmoins garder espoir. Car nous pouvons avoir un futur vivable en adoptant une approche systémique face à la complexité de notre monde. Et en changeant nos postures et nos modes de gouvernance. Ces transformations doivent aussi s’appliquer aux entreprises qui ne peuvent faire l’économie de l’intérêt général. C’est d’ailleurs le sens porté par la loi PACTE et le statut d’entreprise à mission.
“Nombreuses sont encore les écoles qui forment les dirigeants de demain avec des méthodes obsolètes, qui privilégient la verticalité, les silos, la séparation des disciplines”
Vous avez fondé CY Ecole de Design afin de former des “designers capables de se saisir des défis du 21ème siècle”. En quoi le design peut répondre aux enjeux actuels?
Il est impossible de résoudre quoi que ce soit si l’on n’embarque pas toutes les parties prenantes. Miser sur la verticalité, et mettre un petit groupe de “sachants” autour de la table, ne fonctionne pas. Nous en avons la preuve aujourd’hui. Nous devons miser sur l’intelligence collective, solliciter tous les savoirs, tous les regards. Et c’est cela le concept du design.
Contrairement à une idée répandue, le design ce n’est pas que l’objet. Le design est d’ailleurs bien plus grand que les designers. Certes, les designers contribuent au design mais s’il n’y avait que des designers, il n’y aurait pas de design.
Le design répond à un enjeu majeur : contribuer à créer les conditions d’une expérience de vie
réussie pour tous et toutes, qu’il s’agisse d’objets, d’interfaces ou d’espaces de vie, etc.
Le design c’est une méthode qui permet de mener tout type de projet et/ou de résoudre un
problème, quelle que soit sa nature, en impliquant l’ensemble des personnes concernées. Dès lors, rien n’échappe à cette définition du design.
“ Contribuer à créer les conditions d’expériences de vie réussies, c’est le rôle du designer mais aussi celui du manager ”
Quelle est la place du design dans la vie de l’entreprise?
Contribuer à créer les conditions d’expériences de vie réussies, c’est le rôle du designer mais aussi celui du manager. Le design est un outil pour répondre à des enjeux de management et de conduite des activités menées par l’entreprise.
L’explosion des burn out et la dégradation de la santé mentale des salariés montre que la majorité des méthodes de management plébiscités jusque-là ne sont pas les bonnes. L’approche du design peut être salvatrice : si on veut faire des progrès en matière de bien-être au travail, il faut impérativement mettre les équipes au cœur du processus de décision. Les collaborateurs ne peuvent plus être simplement consommateurs de décisions prises par des dirigeants qui sauraient mieux qu’eux ce qui est bon pour leur bien-être. L’entreprise n’a pas vraiment d’autre choix que d’adopter des méthodes réellement collaboratives. C’est un enjeu d’efficacité opérationnelle. Les entreprises qui intègrent le design dans leurs process créent plus de valeur et surperforment.
Le secteur bancaire en a bien pris conscience et toutes les banques ont créé une branche design. De nombreuses entreprises du retail, du secteur spatial, de l’industrie, qui étaient hors du champ du design, adoptent également cette approche. Le design pousse partout.
Comment favoriser concrètement l’approche collaborative en entreprise ?
Pour que ça marche, il faut intégrer le design à la culture d’entreprise en embauchant des designers, en créant des départements design ou innovation. Et surtout, en embarquant tous les collaborateurs dans cette vision empruntée au design.
“Il y a des outils qui favorisent cette culture de la collaboration. Uwti en fait partie grâce à son défi qui confronte à un problème nouveau et complexe”
Il est essentiel que les équipes s’approprient le design, à travers des parcours de formation continue, car cela prend du temps. Il faut faire confiance au collectif, et se considérer tous comme égaux. C’est en créant une nouvelle manière de travailler ensemble, qui induit une autre manière de vivre ensemble, que l’on résout les problématiques. La confiance est un impératif.
Par ailleurs, il y a des outils qui favorisent cette culture de la collaboration. Uwti en fait partie grâce à son défi qui confronte à un problème nouveau et complexe, et invite à tester et manipuler des briques physiques et numériques.
Les participants sont un peu ‘chahutés’ face à une situation inattendue et sont souvent mis en échec au début du défi. Cela les force à s'organiser en équipe pour y arriver. Forcé à collaborer, le groupe relève, à chaque fois, le défi. Ce qui donne confiance à tous et insuffle une dynamique précieuse pour pouvoir ensuite s’atteler à de plus gros dossiers dans l’entreprise. C’est aussi l’occasion de confronter les personnalités, ce qui est très enrichissant. Tout cela peut s’appliquer à de nombreuses problématiques, en entreprise mais aussi dans l’ensemble du corps social.
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